La gouvernance et le financement du cinéma Belge francophone.
J’ai interrogé la Ministre Bénédicte Linard sur la gouvernance et le financement du cinéma Belge francophone.
En effet, selon certaines critiques, le financement des films en Belgique francophone serait dominé par l’opacité et l’entre soi. D’après le réalisateur Frédéric Sojcher, les mêmes réalisateurs et les mêmes types de projets accapareraient les fonds publics, alors que la plupart des autres réalisateurs sont ignorés. La CSF aurait tendance à soutenir en priorité des réalisateurs et producteurs ayant déjà fait leurs preuves. La diversité du cinéma belge serait donc en péril. En résumé, seuls les films d’auteur seraient soutenus, alors que les projets atypiques ou audacieux seraient automatiquement mis de côté.
Nous ne pouvons plus ignorer ces critiques. Elles méritent, à tout le moins, que nous y apportions toute notre attention, sans toutefois les prendre pour argent comptant.
Je tenais donc à faire le point sur la situation en commission.
La réponse de la Ministre :
L’organisation et la composition de la commission d’avis ont été complètement revues depuis septembre 2020, dans le cadre de la mise en œuvre du décret du 28 mars 2019 sur la nouvelle gouvernance culturelle. Le but de cette réforme est d’amener, en continu, dans la commission des idées nouvelles, des regards neufs et non biaisés, des approches singulières, une diversité et une prise de risque accrue.
Elle a pleinement confiance dans les travaux de la nouvelle commission d’avis, dont le fonctionnement sera évalué après une première année d’exercice, et dans la gestion opérée par le CCA, ainsi qu’en sa directrice Jeanne Brunfaut qui se montre à l’écoute du secteur et de ses enjeux.
Afin d’objectiver un minimum, il importe de regarder les chiffres qui reflètent la diversité des bénéficiaires et la diversité des genres soutenus. Concernant la diversité des bénéficiaires, entre 2013 et 2020, 131 aides à l’écriture ont été octroyées à 154 auteurs différents ; 54 aides au développement ont été octroyées à 27 sociétés de production différentes et à 56 réalisateurs différents ; 98 aides à la production ont été octroyées à 87 réalisateurs différents et à 38 sociétés de production différentes ; 69 réalisateurs ont bénéficié d’une seule aide, 15 ont profité de deux aides et deux réalisateurs ont eu droit à quatre aides. Nous sommes donc loin d’un système qui octroie toutes les aides à une minorité d’élus. Par ailleurs, entre 2015 et 2020, 145 films ont demandé des aides à la production dont 80 ont été soutenus. Sur ces 145 films, 24 % étaient des comédies et 64 % étaient des drames. Sur les 35 projets de comédies déposés, 21 ont été soutenus, soit 60 % des comédies déposées. La comédie a donc proportionnellement un ratio de sélectivité plus élevé que le drame. Sur les 93 projets de drame déposés, 47 ont été soutenus soit 50 % des candidatures. Pour les films de genre, 83 % des projets déposés ont été soutenus ; pour les polars, 66 % des projets déposés ont été soutenus ; pour les films pour enfants ou les films d’animation, 100 % des projets déposés ont été soutenus. Je me bornerai encore à souligner qu’il est impossible de soutenir un genre qui n’aurait pas fait l’objet d’une demande.
Par ailleurs, les aides du CCA ne conditionnent pas du tout l’aide des autres guichets. L’aide économique des guichets régionaux est basée sur le niveau de dépenses structurantes effectuées au niveau de la Région et l’aide du tax shelter est un soutien basé sur des critères des dépenses qualifiantes en Belgique et en Europe. Le CCA apporte cependant un premier filtre culturel, à savoir un label de qualité artistique. C’est sans doute la raison pour laquelle, si le projet n’est pas soutenu par le CCA, il pourrait avoir plus de difficultés à convaincre d’autres guichets de financement. Néanmoins, 27 films éligibles aux Magritte ont été réalisés sans l’aide du CCA.
Quant à redéfinir les critères de sélection, une aide automatique me semble contraire à l’objectif poursuivi, à savoir la recherche des talents et de l’excellence en cinéma. Cette aide automatique ne pourra qu’appauvrir notre cinématographie. La commission d’avis est un lieu où l’ensemble des subjectivités personnelles vise à assurer l’objectivité globale. Néanmoins, les critères fixés dans le décret pourraient, si l’évaluation en souligne la nécessité, être plus clairement définis à l’avenir.
Par ailleurs, les aides à la création du CCA n’ont en effet pas augmenté depuis plus de dix ans, alors que le nombre de projets déposés, de même que les coûts de production, est en forte hausse. C’est pourquoi j’ai défendu et obtenu, lors du conclave budgétaire, une augmentation structurelle de 400 000 euros des moyens destinés à la création cinématographique. Leur affectation exacte doit encore être déterminée. Je pense néanmoins que, si un saupoudrage pouvait faire moins de déçus parmi les déposants, il n’est pas gage de plus de films de qualité.
- Je remercie la Ministre pour la qualité de sa réponse, il était important de répondre point par point avec des chiffres très précis. Les chiffres énoncés donnent un éclairage différent. J’ai l’impression que certaines critiques n’ont pas lieu d’être. Il faut néanmoins garder une oreille attentive à ce que disent les acteurs de terrain qui restent persuadés, malgré la réalité des chiffres, qu’il y a un entre-soi et que certains critères ne sont pas très objectifs. S’il y a lieu d’améliorer un système, il faut le faire. Une idée intéressante à creuser serait l’anonymisation des dossiers. Cela pourrait éventuellement permettre d’éviter certaines dérives. Pour terminer, je tiens à féliciter la Ministre, pour ces 400 000 euros supplémentaires décrochés après dix années d’un budget sans évolution. C’est un pas dans la bonne direction !
Compte rendu complet p.52